PLUTARQUE
Plutarque
(50-125)
Écrivain grec
"Qui donc a le premier transformé en viande un animal, un être animé, vivant, et en a honteusement rajouté jusqu'à convertir son sang en jus, voire en sauce ?"
Plutarque reconnaît implicitement que les animaux sont dotés de raison. La différence entre l'homme et l'animal est seulement de degré, à savoir de quantité et non pas de qualité.La souffrance animale doit susciter des sentiments de bienveillance de notre part. C'est une évidence pour Plutarque qui rappelle que le philosophe Bione disait que si les enfants s'amusent à jeter des pierres aux grenouilles, celles-ci ne s'amusent pas à mourir. Il nous introduit, le premier parmi les Grecs, à la nécessité de sentiments de charité envers cette partie de l'univers qui, semblable à nous sous beaucoup d'aspects, n'a pas souvent nos avantages.
(L'âme des bêtes dans la pensée occidentale depuis l'Antiquité jusqu'au siècle des Lumières - Erminio Caprotti)
"Le végétarisme de Plutarque ne consiste pas comme celui de l'orphisme ou du pythagorisme, à refuser la cité et ses valeurs, mais bien à nous acheminer, aux antipodes de l'anthropophagie, vers ce qui s'appelle philanthrôpia. Au modèle du meurtrier, identique par delà la diversité des manières de tuer et de manger, s'oppose en effet le paradigme de l'homme doux et humain. (...) La philanthrôpiaenvers les bêtes déconstruit la légitimité de la représentation humaine et du logos réservé. Il ne suffit en effet pas que, comme dans le stoïcisme, la bienveillance nous porte au-delà des frontières de notre cité ou même des limites de notre race : il faut encore que, pour être non pas tant hommes qu'humains, nous sachions passer les bornes de notre espèce afin de ressentir la réalité d'une parenté, afin de pratiquer la douceur et la justice vis-à-vis de ceux qui comme nous ont une âme et peut-être même, ainsi que le pense parfois Plutarque, disposent de la raison".
(Le silence des bêtes - Elysabeth de Fontenay)
"Qui donc, demande Plutarque, a le premier transformé en viande un animal, un être animé, vivant, et en a honteusement rajouté jusqu'à convertir son sang en jus, voire en sauce ? Ceux qui se gorgent de bêtes rôties, bouillies, assaisonnées ont sans doute oublié ce qui est raconté dans l'Odyssée et qui constitue un récit des origines de la nourriture carnée." (l'intelligence ses animaux, Plutarque)
"Les belles vaches de front large aux cornes torses, ils les cernèrent, puis invoquèrent les dieux (...) Puis, quand on eut pitié, égorgé, écorché, ils détachèrent les cuisseaux, les couvrirent de graisse des deux côtés, et posèrent dessus les morceaux crus. On manquait de vin pur pour les libations aux victimes; mais on versa de l'eau puis on grilla tous les viscères. Quand les cuisses furent brûlées et les abats mangés, ils hachèrent le reste et l'embrochèrent. (...) Les dépouillés rampaient, la viande meuglait sur les broches, crue ou cuite, on eût dit la voix même des bêtes."
(Odyssée, chant XII in 'le silence des bêtes' Elysabeth de Fontenay)
«Le peuple d'Athènes, écrit ailleurs Plutarque, après avoir bâti l'Hécatompédon, renvoya toutes les bêtes de charge qui avaient travaillé à la construction de cet édifice, et les laissa paître en liberté tout le reste de leur vie. Un de ces animaux vint un jour, de lui-même, se présenter au travail; il se mit à la tête des bêtes de somme qui traînaient des chariots à la citadelle, et, marchant devant elles, semblait les exhorter et les animer à l'ouvrage. Les Athéniens ordonnèrent, par un décret, que cet animal serait nourri jusqu'à sa mort aux dépens du public. En effet, il ne faut pas se servir des êtres animés comme on se sert de souliers ou d'autres effets de cette espèce, qu'on jette lorsqu'il sont rompus ou usés par le service. On doit s'accoutumer à être doux et humain envers les animaux, ne fût-ce que pour faire l'apprentissage de l'humanité à l'égard des hommes. Pour moi, je ne voudrais pas vendre même un boeuf qui aurait vieilli en labourant mes terres; à plus forte raison je me garderais bien de renvoyer un vieux domestique, de le chasser de la maison où il a vécu longtemps, et qu'il regarde comme sa patrie".
(Plutarque, Caton. Les vies des hommes illustres , tome 2, Paris, Furne et Cie, p. 38-39.)
"Pour moi, chasser et vendre comme des bêtes de somme, les serviteurs devenus vieux, dont on a tiré tout le profit possible, c'est le fait d'un caractère trops dur et de quelqu'un qui ne s'imagine pas d'autres liens entre les hommes que ceux de l'intérêt. Cependant, nous voyons que le domaine de la bonté est plus vaste que celui de la justice: nous n'appliquons naturellement la loi et le droit qu'aux hommes seuls, tandis que la bienfaisance et la libéralité s'étendent jusqu'aux animaux privés de raison, en s'acollant d'un coeur généreux comme d'une source abandante. L'homme doué de bonté doit nourrir ses chevaux épuisés par l'âge et soigner les chiots, mais aussi les chiens devenus vieux (...). Et de ce fait, nous ne devons pas traiter les êtres vivants comme des chaussures ou des ustensiles, qu'on jette quand ils sont abîmés ou usés ou à force de servir, car il faut s'habituer à être doux et clément envers eux, sinon pour une autre raison, du moins pour s'exercer à la pratique de la vertu d'humanité..."
(Plutarque, Vies parallèles, Trad.R.Flacelière et E.Chambry, "Caton l'Ancien", 5, 1-6, Paris, Les Belles Lettres, 1969, t.V)