BIFACES

BIFACES

Curieuses sensations ces temps-ci. Urgence probablement factice de se déterminer politiquement. Car oui, à l'heure où j'entame ces lignes, c'est l'élection présidentielle. En voilà un spectacle qu'il est beau ! Qui fait sortir tout le monde du bois, y compris ceux qui, malheureusement, se documentent peu, milieu aidant, ou paresse aidant. Ceci étant, d'une part, on apprend parfois mieux dans les bois. D'autre part, il y a des gens supposés très informés qui, de peur de ne pas être remarqués dans l'embouteillage des commentaires, deviennent quasi furieux et vont jusqu'à raconter n'importe quoi. Car oui, il faut absolument céder aux incessantes injonctions à se déterminer, sous peine de ne pas exister. Alors se mutiplient les adeptes du 'savoir que', comme disait Albert Jacquard. C'est l'âge d'or des journalistes devenus simples colporteurs, oubliant au passage l'essence de leur métier : l'enquête, l'investigation. A minima, la vérification des informations.

Il me revient la voix de Théodore Monod, qui fut (peut-être) par hasard celui qui m'invita au végétarisme, qui devint vite veganisme, mot inconnu à l'époque. Je le revois nous montrer un 'biface' de l'Adrar mauritanien, petite pierre plate et tranchante, probablement taillée par un chasseur (glurps, d'ailleurs il n'y aura bientôt plus d'addax que dans certains zoos). La face supérieure est polie par le sable et le vent, l'autre est mate. Et le malicieux Théodore de nous expliquer que ce caillou est probablement resté 100 000 ans immobile sur le sable, sans jamais avoir été retourné.

Chaque humain m'apparait soudain comme un biface.

Il y a la face lisse, érodée par le mitraillage exponentiel d'informations et surtout de propagandes, par l'omniprésence des schémas, des codes, des analyses, des traditions constatées ou proclamées, des incitations à se positionner par rapport à des normes, elles-mêmes outils pseudo historico-philosophico-statistiques propices aux dérives vers des rives fantasmées, manipulées par celles et ceux qui savent très bien comment en tirer un pitoyable profit. Il y a même des écoles pour ça, très cotées : communication, marketing, publicité. Ou comment trouver la bonne marque de lubrifiant. Comble d'absurdité, les plus habiles metteurs sont admirés de tous. Presque tous (ouf).

La pierre angulaire bien sûr, c'est la nécessité de trouver une façon de vivre avec les autres. Lorsque 'les autres' sont les autres hommes, il est de bon ton d'en faire sa préoccupation majeure, même si ce n'est souvent qu'une façade. Quant aux autres espèces, nous, les occidentaux (surtout, mais pas seulement), les avons réduites à un état d'infériorité, dominé par le mépris dont s'est fort bien accommodé l''humanisme' dont nous sommes si fiers. À vrai dire, il s'en est nourri, y mesurant la soi-disant valeur supérieure de l'humain (à quoi, à qui, aux autres animaux, donc). La conscience de cette injustice fondamentale nous viendra peut-être, probablement trop tard pour redresser la barre. J'espère secrètement avoir tort, mais n'entrevois pas de scenario convaincant pour une suite heureuse. Voilà, si vous êtes arrivés jusque là, votre journée est gâchée.

Mais attendez, ne partez pas.

Heureusement, il y a la face qui est restée cachée, innocente (étymologiquement, qui ne fait pas de mal), en tout cas intime. C'est notre sensibilité profonde, plus ou moins accessible. Elle caractérise chaque individu, et détermine nombre de ses actes. Elle est souvent en contradiction avec une perception réputée rationnelle qui, loin d'être la panacée annoncée, s'avère un instrument puissamment aliénateur, car extrêmement réducteur. Substituer des schémas à une réalité complexe et en perpétuel mouvement, ça fait de sacrés dégâts. Évidemment, c'est plus simple à manipuler que cette masse émotionnelle, que l'on devrait considérer comme notre vraie richesse, alors qu'on finit presque par en avoir peur. Cette sensibilité est souvent si inadaptée à l'exposition que la plupart la dissimule, l'installe dans un écrin confortable, entouré d'une armure surdimentionnée. Ce contraste crée probablement notre malheur individuel. Et il précipitera une dérive collective déjà bien amorcée. Rah voilà que ça me reprend, soyons positifs un peu, bon sang !

Alors oui, il y a ces centaines d'initiatives généreuses, éclairées, belles. Intelligentes. Cette nécessité de clamer haut et fort que l'on aime le vie, la seul cadeau que l'on ait 'reçu' sans qu'on le demande et encore moins le 'mérite' (non je ne suis pas créationniste, pouvez ranger les glaives). Il y a toutes ces tentatives, souvent qualifiées d'utopistes, souvent observées avec un sourire narquois, qui dissimule sans doute un peu de jalousie, elle-même sournoisement entretenue par les immobilismes et les paresses ordinaires.

Il y a par exemple tout ce qui relève d'un esprit communautaire, que l'on observe souvent chez ceux qui se sont trop longtemps laissés traiter, avec condescendance, d'"écolos", un 'diminutif' dans tous les sens du terme, qui a succédé aux imageries 'hippies', 'baba cools' et autres moqueries. En vrac : entreprises auto gérées, logis énergétiquement autonomes, échanges locaux, usage minimaliste de pesticides, innovations non nécessairement technologiques pour dépolluer ou moins polluer, etc… Et bien sûr, veganisme : eh oui, même sous un angle écologique ça devrait être la première des mesures à prendre, aidant ceux que le sort indigne réservé aux animaux n'atteint pas à comprendre une chose : la souffrance est la première des pollutions.

Et puis il y a cette nécessité immédiatement concomitante, si on a la chance d'évoluer dans une bulle de liberté et de confort convenable, de se soucier de tous ceux qui n'ont pas cette chance. De tous ceux qui souffrent. De tous les êtres qui souffrent. De tous les animaux, humains et non-humains, qui souffrent. Et aussi cette lucidité de comprendre qu'on ne peut plus continuer à considérer que tout est dû à l'homo dit sapiens, cet autoproclamé 'Roi de la Création' (merci Théodore), qu'il n'est le centre de rien, de la même façon que la Terre n'est le centre d'aucun système planétaire, à part de sa lune, prise un jour par hasard dans le filet orbital de l'attraction universelle.

Il y a tous ces humains, souvent jeunes mais pas que (merci pour les autres qui ont souvent le mérite d'avoir inversé eux-mêmes un conditionnement plus ancien, plus archaïque, plus profond) qui remettent en question les préceptes véhiculés par tous les anthropocentrismes, religieux ou athées. Oui, les monothéismes et l'humanisme sont finalement bien d'accord sur une chose : l'humain a une valeur sacrée, supérieure aux autres êtres. La seule vraie révolution possible est celle de renoncer à cette vision du monde (le 'monde', ce mot utilisé à la fois pour parler du cosmos, de la terre, et d'un ensemble d'individus humains… tout est dit).

Il y a donc toutes ces énergies, entièrement tournées vers la joie de vivre, de vivre ensemble, entre humains, entre animaux. Ces énergies habitées par une profonde lucidité, à savoir le sentiment qu'on ne peut plus participer à la course absurde qui nous est quasi imposée par notre éducation occidentale. Ces êtres positifs qui refusent ce qui leur est présenté comme des maux inévitables par ceux qui ont tout intérêt à ce que ça continue, évidemment. L'esclavage légal, par exemple, fut longtemps défendu comme économiquement indispensable par des gens considérés comme très avertis. Tous les racismes, sexismes ont eu des justificateurs officiels. Ils en ont encore, bien sûr. La Science officielle, par essence conservatrice, car toujours en train de défendre les vérités d'hier contre celles de demain, leur a donné de bons coups de main. Quand à la conscience du spécisme, qui semble enfin affleurer… on voit le chemin qui reste à parcourir.

Une chose est remarquable : ces luttes sont en grande partie l'oeuvre de personnes qui n'ont aucun intérêt personnel à y défendre. Oui c'est de l'altruisme, c'est un amour de la justice, a minima une révolte salutaire contre les injustices. Ceux qui sont les plus vulnérables ne peuvent souvent pas se défendre aux-mêmes. L'exemple le plus accablant est celui des animaux non humains : leur vulnérabilité est totale.

Vous les avez vues ces images d'élevages concentrationnaires, ces insupportables détresses dans les abattoirs ? Depuis peu, il est permis à tous de voir ce qui se passe dans ces lieux jusqu'ici cachés. Merci au travail courageux et inestimable de ceux qui ont permis ça. J'entends les journalistes parler d'"images dures". Quelle hypocrisie. C'est la réalité qui est dure, souvent beaucoup plus que ce que l'on voit. Quand on parle d'images dures, on est déjà focalisé sur sa propre réaction, aux antipodes de l'empathie. Quelle face du biface allez-vous présenter : celle qui vous fera détourner le regard parce que 'c'est trop dur', ou celle qui permettra à l'émotion profonde de cheminer du coeur vers le cerveau ?

Car oui, le sort des animaux constitue probablement le questionnement le plus aigü, l'injustice ultime. Prendre parti pour refuser les vies de misère auxquelles ils sont condamnés dès leur naissance (qu'on a provoquée), c'est le minimum. Il y a mille façons, la plus simple et la plus efficace étant de changer le contenu de son assiette. Ça ne suffit absolument pas, mais c'est le meilleur début possible. En fait, c'est juste une salutaire mise à jour de sa propre cohérence.

Éthique. Voilà un mot désormais très employé. Un paravent aux mauvaises consciences. Tout le monde veut mettre de l'éthique partout. Enfin non, soyons honnêtes, pas tout le monde. Ceux qui n'en parlent pas du tout ont l'avantage de la cohérence, celle d'assumer leur égoïsme fondamental. Les décomplexés comme on dit ! Parce que, pour ce qui concerne les autres (les complexés donc ?), il y a souvent de quoi bouillonner. Posons-nous une question toute simple : sommes-nous capables de souhaiter des changements qui se feraient à notre détriment personnel ? En voilà un critère qu'il est bon : il sépare les intentions ou les actes en deux catégories bien distinctes. Pour revenir brièvement sur nos préoccupations présidentielles, avez-vous remarqué tous ces 'micro-trottoirs' lors des JT de tous bords, où le journaliste demande "alors, quel est le programme qui va changer en bien vos conditions de vie ?", comme s'il allait de soi que chacun s'intéressait avant tout à soi-même ! Les réponses n'ont en général aucun intérêt. En revanche, ce type de question en dit long sur la vulgarité fondamentale de ce journalisme racoleur, qui ramène avec mépris les interrogés à de la chair à populisme. Ces colporteurs occupant la majeure partie de l'espace médiatique, on comprend bien qu'ils ne s'auto-critiquent quasiment jamais. Micro, trottoir, caniveau.

Revenons sur la face cachée du biface. Un exemple au hasard, que je puiserais volontairement dans des actions qui paraissent plus directement accessibles, portées par des associations de bénévoles dévoués, courageux qui luttent contre les misères humaines et animales, sans jamais se mettre en avant, colmatant les zones scandaleusement oubliées par ceux qui pourraient assez facilement légiférer, décréter, inverser les pratiques.

Par exemple, donc, la stérilisation des chats. Elle devrait être obligatoire, y compris et surtout pour les chats dits 'errants', mot méprisant qui inverse la logique, car c'est bien nous qui les rendons errants en ne leur permettant pas de trouver une place adaptée à leurs besoins. Dans les villages ou les communes qui l'ont décidé, les chats ne se 'reproduisent' plus, les habitants les connaissent, ils ont même souvent un nom, on peut même les soigner. Et leur présence empêche les chats extérieurs, qui voudraient bien migrer eux aussi, de s'y installer. Bien sûr il faut donc ensuite s'occuper de ceux qui sont à côté (enfin ça, ça dépend pour qui vous votez).

Évidemment, rien n'est simple. Continuons un instant sur les chats. Certains diront : que se passerait-il pour tous ces chats s'il n'y avait pas d'humains ? Ce serait mieux, ou ce serait pire ? En fait, on n'en sait rien. Et la question n'est pas très intéressante. Ce n'est souvent qu'une manoeuvre volontairement dilatoire. Ce qui compte, c'est de faire quelque chose si on peut le faire. Aider quand on peut. Soulager les souffrances quand on peut. Et, si on est honnête, on doit reconnaitre que, souvent, eh bien… on peut !

Par exemple, on peut facilement arrêter de manger des 'produits' animaux. Mais il est étonnant de voir à quel point la résistance est forte. Il y a bien sûr les lobbies hyper puissants, la face émergée du monstre étant celle de l'omniprésente propagande dénommée 'pub'. Mais il y a aussi une résistance individuelle, que l'on observe jusque chez les proclamés 'intellectuels' les plus brillants (ça on s'en fout un peu) mais surtout les plus engagés vers une forme d'altruisme (par exemple Michel Onfray, pourtant un des plus sympas). Je me demande si la raison principale de cette résistance n'est pas que les repas sont des cérémonies qui appartiennent à la sphère privée, traditionnellement dissociée de la sphère publique. Eh oui quand le grand intellectuel rentre chez lui après une journée harassante et qu'il s'installe devant son assiette, eh bien, au moment où il voulait se détendre, voilà que le débat s'invite à sa table ! Du coup, ça le rend moins vif sur le questionnement on dirait. Tiens, il parait qu'il y aurait des neurones dans les intestins : une piste peut-être pour expliquer les raisonnements de merde ?

Pardon pour la grossièreté, mais elle n'est rien à côté de la vulgarité des malhonnêtetés.

Alors oui, il faut être en pleine forme pour affronter tout ça. Les élections présidentielles, c'est un peu 'un avis pour tous'. Ce qui compte n'est pas de comprendre. Ce qui compte c'est d'exister, d'exprimer quelque chose, d'avoir absolument un avis, de répondre aux questions pressantes de ceux qui n'ont pas compris grand chose non plus. Alors s'ouvre le champ misérable des invectives à tout va, la valse des étiquettes :

- 'Ecolos' on a déjà vu.

- 'Bobos', terme qui, à part le mépris, ne caractérise pas grand chose : bourgeois-bohème nous dit-on. J'essaye de comprendre : ce sont des gens qui ont des sous, mais qui essayent de vivre autrement que les parvenus traditionnels, ces derniers étant ceux qui amassent et ne partagent rien, ceux qui se murent pour ne pas qu'on leur prenne leur pactole. Ceux qui collent l'étiquette bobo semblent préférer le mépris traditionnel du riche, contre lequel ils ne luttent plus, à ceux qui essayent autre chose. Bizarre.

- Continuons avec une belle étiquette électorale : le 'ni-ni', une espèce qui hibernerait pendant 5 ans, et qui sortirait de terre pour se faire conspuer. Ben oui quoi, ne pas choisir, c'est impossible enfin, soyez responsable un peu ! Si vous ne choisissez pas, vous n'existerez pas, et puis vous ne viendrez pas vous plaindre. Consternant. En effet, ne se retrouver dans aucun choix ni aucun calcul, ne serait-ce pas parfois une preuve d'intelligence, a minima d'indépendance de vue ? (j'ai écrit 'parfois' vous avez vu ?)

- Même l'étiquette de 'facho' me déplait. Elle évoque pourtant un combat que je partage depuis longtemps. Mais traiter quelqu'un de facho, ça veut dire : je ne veux même pas discuter, je ne veux pas comprendre, je veux juste te mettre dans une catégorie et l'exposer aux yeux de tous, pour qu'ils viennent te lyncher, pour qu'on voie à quel point tu es un être méprisable. Comme toutes les autres étiquettes, la bêtise n'est jamais loin.

- Il n'y a pas encore de diminutif pour 'spéciste', mais je suis confiant. Comme ça on pourra discriminer ceux à qui on reproche précisément une discrimination. Intelligent ça. Espèce de 'spécio', 'spéco',… 'speculos' ? Cette étiquette aurait beaucoup de succès, tant elle concernerait l'immense majorité !

L'industrie de l'étiquetage a de l'avenir. C'est bon pour la croissance ça.

Et pourtant le mépris pour les animaux est toujours là, omniprésent. Il est même toujours revendiqué. Ce qui est nouveau c'est qu'on en parle dans certains débats. Les défenseurs de l'ancien monde, c'est à dire celui dans lequel on vit encore (quel incorrigible utopiste), sont obligés de s'expliquer, même si on voit qu'ils ne comprennent pas toujours pourquoi, les petits sourires en attestent. Exemple au hasard, un numéro de 'on n'est pas couchés' (en effet), le mépris ordinaire de Moix à l'envers de Caron, pourtant brillant débatteur, le mépris ordinaire d'un Lassalle, berger reconverti en défenseur caricatural des traditions (cible facile, donc je passe), la façon de Ruquier de minimiser le sujet en permanence, même si, dans le genre, il y a évidemment bien pire. L'assiette n'est jamais très loin. Le ventre non plus. Le nombril surtout. On a juste un Mélenchon qui a dit que les vegans étaient des 'révolutionnaires'. On prend. Ça ne mange pas de pain. Je le crois sincère, mais ça, on ne peut pas le démontrer, ni en être tout à fait sûr.

Oui la face lisse, bombardée d'informations, est devenue largement improductive. On a accès à tout croit-on. En fait, c'est faux. En revanche, on a accès à suffisamment pour réfléchir en toute indépendance. Ça c'est un sacré programme ! Parce qu'il n'y a rien de plus difficile.

En effet, on est sommés de participer au grand QCM comme on dit (Questionnaire Choix Multiples, je traduis pour ceux qui sortiraient d'une grotte). Tous les trucs qui commencent par Q, c'est dangereux on dirait. Je vous conseille de lire ce qu'écrivait Albert Jacquard sur le QI par exemple ! Tout ce qui nous force à classifier, hierarchiser, est une réduction de l'intelligence. Accepter que le QI mesure "l'intelligence", c'est déjà perdre beaucoup de points ! Bien sûr, il y a beaucoup de types d'intelligences. Le QI mesurerait plutôt une faculté à jongler avec des abstractions. C'est une forme d'intelligence, pourquoi pas. Mais pourquoi est-elle devenue une référence ? Déjà, parce qu'elle est quantifiable, et qu'un chiffre ça permet de classer. En revanche, on peut douter qu'il mesure quoique ce soit d'intrinsèque, puisqu'on peut s'y entrainer et ainsi améliorer son score. Donc c'est raté. Mais ça marche parce que classer, hiérarchiser, ça plait beaucoup. C'est ce qu'on a appris depuis tout petit. La compétition quoi. En fait, toute hiérarchie en dit beaucoup sur… l'état d'esprit de ceux qui ont choisi le ou les critère(s). Car oui, pas de hiérarchie sans critère. Or, dans les statistiques dont nous sommes bombardés, les critères avancent souvent masqués. Les vraies motivations de leur choix devraient constituer l'aspect le plus intéressant à développer.

Plutôt que cette capacité à jongler avec des certitudes apprises qu'on ne remettra jamais en question (le jonglage est une diversion très efficace), si on me forçait à ne retenir qu'un seul critère (ce qui est contre ma religion) pour définir l'intelligence (le problème est le l' vous avez compris), je dirais : une capacité de remise en question.

Alors, s'ouvre un champ immense de questionnement bien sûr. Chaque sujet pourrait faire l'objet d'une investigation personnelle, la plupart des informations étant désormais à portée de clic, de liens… qu'il faut dénouer. Il faudra bien sûr un cerveau qui marche, mais surtout beaucoup d'énergie et de temps. Il faudra aussi lutter contre les invectives des conservateurs de tous poils, pour qui les remises en question sur les sujets graves sont quasiment des délits. Les pauvres chéris : mettre du désordre dans leurs têtes, c'est manifestement une agression contre leur confort ! Tous ces défenseurs des vérités officielles, qui ne manqueront pas de changer illico dès qu'un changement sera décrété officiel, sont les gardiens du temple de l'ordre, de la rigidité, des avantages acquis. Il y a ceux qui ont un intérêt personnel à ce que ça ne change pas. Là on comprend. Mais, pire peut-être, il y a ceux qui gardent la porte juste parce qu'ils ont peur des courants d'air, du changement, du désordre. De la vie ? La bêtise n'est pas loin (oui je sais, il y a aussi plusieurs sortes de bêtises, et on doit tous se méfier)

Combien de 'révélations', de 'scandales', de 'tromperies'… furent portés et parfois révélés par de vrais lanceurs d'alerte, avant d'être livrés bien plus tard en pâture au déchainement imbécile des lynchages en tout genre. Des personnes, des associations ont payé le prix fort pour avoir révélé des vérités qu'il fallait cacher, et ce, souvent pendant des décennies. Leurs vies ont parfois été véritablement sacrifiées. Les exemples abondent sur tous les sujets, que je ne développerai pas ici. Série en cours évidemment. Plus que jamais.

C'est fou de voir la propension d'auto-proclamés intellectuels à traiter ces personnes de 'complotistes'. Ce terme est l'expression d'un mépris, un de plus. Il signifie : je ne veux même pas entendre ce que tu dis, je ne m'abaisserai pas à échanger des arguments, car tes affirmations sont dangeureuses, on doit t'isoler. Alors, l'étiquette de complotiste est l'instrument idéal. On peut au besoin l'agrémenter d'une suspicion d'appartenance à une secte, histoire de bien enfoncer le clou du cercueil. Les complotistes sont donc des gens qui verraient des complots partout. Je propose un nouveau mot : les 'complotististes' ! Ce serait ceux qui voient des complotistes partout.

Voilà, après ça, on est bien avancés n'est-ce pas ? Invectives, lynchages, étiquettes. Négation du débat. Négation d'une intelligence caractérisée par sa capacité de remise en question. Circulons.

En fait, on parle beaucoup trop d'intelligence. Si les personnes supposées les plus intelligentes sont celles qui ont dirigé le 'monde' jusque là, ce qui semble le cas si on se réfère à la définition admise, alors il est urgent de ne plus y accorder tant d'importance. Il serait salvateur de replacer le coeur, les sensations, les sentiments, la capacité d'empathie, de compassion… au centre de notre considération. Bref, toutes les notions 'ennemies' des rationalistes, des pragmatiques, des économistes, des real-politiciens et autres scientifiques à tendance scientiste, de tous les adorateurs inconditionnels des approches analytiques qui empoisonnent le paysage depuis si longtemps. Il y a un mot qui résume l'alternative : l'amour. Pour certains c'est un gros mot, alors on tente de le ridiculiser. Mais pour celles et ceux d'entre nous qui réussissent à se libérer des chaines mentales forgées depuis si longtemps par tous les conditionnements, celà devient une évidence de vie. Je ne puis m'empêcher de penser à un autre Albert, Albert Schweizer qui, cherchant sans relâche ce qui devait guider sa vie, finit par trouver en observant les hippopotames du fleuve Ogooué : le "respect de la vie". Cet homme extraodinaire, théologien, grand organiste, devint médecin pour "servir à quelque chose", partit à Lambaréné, au Gabon, donner naissance à un dispensaire qui existe encore aujourd'hui. Les familles pouvaient séjourner aux côtés des malades. Les animaux aussi étaient recueillis et soignés. Cet homme aurait pu se contenter de la reconnaissance de son intelligence, c'était assurément plus confortable. Il aurait pu rester un 'spécialiste' respecté et écouté. Non, il s'est lancé là où l'amour l'appelait. Aujourd'hui, on pourrait dire la même chose de tous ceux qui luttent contre les souffrances animales, spécialement de ceux qui vont dans les abattoirs.

D'ailleurs cet Albert a beaucoup compté pour notre Théodore, comme par hasard. Même profil de scientifique qui se débarrasse des spécialisations en tout genre, pour embrasser une vie d'aventures, de vraies recherches, de brassages de genres, de pays, de cultures, de religions. Même profil de personnes mues avant tout par une insatiable curiosité, qui s'engagent contre la pauvreté, contre les guerres, les armes nucléaires, la souffrance animale etc… depuis une époque où ça n'intéressait pas grand monde. Le tout avec un profond humour, révélateur d'une vraie humilité. Et ce même dans les propos les plus graves. Quand on l'interrogeait sur un possible cataclysme qui précipiterait les humains vers leur perte, il nous disait malicieusement :

"…Les mammifères ont remplacé les dinosaures. Mais qui remplacerait les mammifères ? Certains pensent aux insectes. Je pense pour ma part que les céphalopodes pourraient être de possibles candidats… Vous voyez des poulpes, des calmars concevoir dans 5 ou 10 millions d'années un nouveau Testament ? Les céphalopodes possèdent des organes des sens très développés, des yeux aussi perfectionnés que les nôtres et on croit pouvoir avancer aujourd'hui que les pieuvres ont une mémoire (...) Pour sortir de l'eau et respirer l'air sous sa forme gazeuse, les céphalopodes devraient découvrir à leur tour les poumons comme ils devraient aussi apprendre à protéger leurs oeufs contre la dessication.…"

Ah ce cher Théodore, un vrai passeur pour moi qui suis pourtant toujours résolument athée.

C'est drôle cette histoire de biface. Ça me fait penser aux vieux 45 tours. Y'avait la face A, la chanson qui était censée faire un 'tube', donc plaire à tout le monde, donc bien intégrer tous les trucs à la mode. Et puis la face B, où l'artiste pouvait mettre la chanson qu'il préférait quoi. Il est arrivé à certains un bonheur immense : malgré l'inflexion exclusive de la machine promotionnelle vers la face A, la face B est devenue… un tube. Comme quoi, il ne faut jamais perdre espoir, toujours garder un minimum de confiance en soi.

Pour chacun d'entre nous, lorsqu'il sera moins perdu, l'heure viendra de soulever légèrement son biface, d'éprouver la force de la générosité et, osons le dire, de l'amour.

Amen 🙂

ps : une dernière pirouette avec l'aide du comique Cioran : "L'espoir est la forme normale du délire" !

Pr Quolibet
(biface en équilibre sur la tranche)

12 novembre 2017 BILLET

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