ESTIVES
Les estives. Certainement les plus beaux moments de la vie des troupeaux. Une paisible illusion de liberté. Le sentiment fatal pour les promeneurs que tout est pour le mieux.
Je m'approche doucement, le son des cloches de la soumission cesse peu à peu, toutes les têtes se tournent vers moi. J'avance encore un peu, et tout le monde se met en mouvement pour m'esquiver. Nous sommes le danger. La brutalité de mes congénères empêche que je puisse approcher. Comment pourrais-je être déçu pour moi-même, je les comprends tellement. À cet instant, je vais même jusqu'à m'identifier aux pires d'entre nous. Ces pires sont légion. L'écrasante majorité.
Profitez bien, magnifiques créatures aux yeux si doux. Certains d'entres vous ne rentreront pas à la ferme. Certains rentreront orphelins. Certains auront un surcis. Personne ne sera 'grâcié' pour employer un mot usité chez les tortionnaires de la corrida ou chez les journalistes abrutis relatant l'histoire 'insolite' d'un animal évadé du circuit de la mort programmée. Ce verbiage abject qui devrait être réservé à des coupables est colporté sans conscience aucune pour qualifier des innocents.
Lorsque vous me laissez enfin approcher, je vous regarde dans les yeux. Votre pacifisme désarçonne ma joie de vivre, il me tord le ventre de tant d’injustice. Fondamentalement, je ne comprends pas comment on en est arrivé là. À défaut, je ne l'accepte pas. Depuis que j'ai ouvert les yeux, je ne l'accepte plus. Avant j'étais innocent. J'aimerais croire que tous ceux qui continuent sont innocents. Mais depuis que les témoignages circulent si facilement, j'ai du mal à y croire.
Notre oeuvre collective est sans appel : nous sommes des monstres. J'entends déjà hurler à la misanthropie. Nous pourrons en discuter. Une autre fois.
Pr Quolibet
(professeur de fin d'arrogance)
10 juillet 2021 Quolibet BILLET
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